L'anxiété de séparation
Transcription
Bonjour et bienvenue sur K9 Woof You, le podcast de K9 Voice. Je suis Ingrid, consultante en comportement canin, et aujourd'hui je vais vous parler de votre chien lorsqu’il souffre parce qu’il est seul.
On parle communément d’anxiété de séparation. Lorsque votre chien en souffre, il va présenter des signes corporels, des comportements particuliers, qui indiquent qu’il anticipe votre départ et sa solitude avec angoisse. Il s’agit d’un état de panique en continu pour le chien. Tant que vous n’êtes pas revenu, il n’est pas en mesure d’être serein. Tous les comportements qu’il produit alors ne sont pas volontaires ; quant à ceux qui le sont, ils sont l’expression d’un mal-être, voire d’un état de détresse. Le cerveau de votre chien est en mode « Sauve-qui-peut, je suis en danger ».
Ceci étant, vu le travail à mettre en place, il est essentiel que le diagnostic soit convenablement posé et avec un maximum d’assurance. Pour cela, la technologie est devenue une alliée précieuse. Que ce soit avec un téléphone, une tablette, une caméra, en filmant votre chien peu avant votre départ, pendant votre absence, et à votre retour, et, en envoyant la vidéo à un professionnel qui saura la décrypter, en plus de vous interroger sur certaines habitudes de vie de votre chien, vous avez déjà le premier pas vers le diagnostic.
La vidéo est essentielle car si certains comportements peuvent être rapportés par les voisins, comme les aboiements, si d’autres peuvent être visibles à votre retour, comme la destruction, les motivations de votre chien, d’autres comportements associés, l’énergie qu’il déploie, ses réactions physiologiques, vont être déterminants.
Le risque serait de diagnostiquer une anxiété de solitude qui entraîne les humains et le chien dans un protocole de plusieurs mois, alors qu’il s’agit d’un inconfort au départ ou d’un ennui. Un jour, j’ai eu des clients qui m’ont annoncé que leur chien souffrait d’anxiété de solitude. J’ai commencé par un entretien avec eux pour établir un bilan sur leur situation ; il s’avérait que leur chien, jeune et curieux, ne promenait pas plus de quinze minutes par jour. Il est important d’éliminer des problématiques, telles que l’ennui, la sensibilité aux bruits, la maladie, un inconfort aux départs, une intolérance au confinement, et d’autres, avant de conclure à une anxiété de solitude. Un chien qui s’ennuie s’occupera comme il peut, avec sa perception de chien, avec ce qui est à sa disposition dans l’environnement, avec ses comportements propres. Un chien qui n’a pas acquis la propreté urinera ou défèquera dans la maison. Un chien qui réagit négativement à certains sons aboiera ou détruira. Un chien qui est malade sera à la recherche d’un réconfort, d’une proximité avec des êtres de confiance. Un chien qui a simplement besoin d’un rituel spécifique lorsque vous partez s’apaisera quand il est seul. J’ai eu des clients, pour eux-mêmes, il disaient plein de choses à leur chien quand ils partaient au travail ou quand ils s’absentaient plusieurs heures ; leur chien demeurait calme. Par contre, s’ils allaient à leur boîte aux lettres ou jeter des poubelles, ce qui leur prenait tout au plus cinq minutes, leur chien aboyait fortement et en continu à peine ils avaient passé la porte. Je leur ai d’abord conseillé de produire le même rituel qu’ils s’absentent trente secondes ou cinq heures. Leur chien avait besoin d’informations, de ne pas être ignoré. Cela a suffit à résoudre le problème.
Si votre chien souffre effectivement d’anxiété de solitude, il va l’exprimer par divers comportements, à une intensité variée. Il peut entre autres : détruire vos meubles, vos murs, son lit ; uriner et déféquer, très généralement là où il est ; haleter fortement ; saliver ; faire les cent pas ; être incapable de se poser ; aboyer, pleurer, hurler, faire le loup ; s’abstenir de boire et manger ; s’auto-mutiler, soit en se léchant à l’excès, soit en se mordillant ; se défenestrer ; gratter les portes jusqu’au sang ; mordre vos pieds ; voler vos affaires que vous emportez lorsque vous sortez ; grogner après vous et/ou bloquer l’accès à la sortie.
Il est essentiel pour la relation avec votre chien que vous ayez en tête qu’il pa-ni-que. Imaginez que vous ayez une phobie : peur des araignées, peur des espaces étroits, peur du vide, peur de l’eau. Je vous mets dans une pièce où des arachnides sont en grande nombre sans que vous ne puissiez en sortir de vous-même. Je vous mets dans une pièce à peine plus large que vous et vous empêche d’en sortir. Je vous mets sur un pont en verre suspendu à plus de 1.000 mètres d’altitude sans pouvoir rejoindre la terre par vous-même. Je vous mets dans une piscine où vous n’avez pas pieds et où le bord le plus proche est à plus de 500 mètres de vous avec des obstacles qui vous ralentissent.
J’entends encore que le chien cherche à se venger parce qu’il a été laissé seul. Je préfère de suite annihiler ce mythe. D’abord, il faudrait à votre chien : des capacités à anticiper lesquels de ses comportements vous feront réagir et comment, en quoi ils affecteront votre humeur, les mettre en pratique volontairement et surtout sans émotion qui exprime la peur. Un chien qui souffre d’anxiété de séparation est loin de ça. Il vit dans un monde où votre absence est une source de souffrance ; il est dans une émotion constante dont il ne parvient pas à se débarrasser et à laquelle votre retour met fin. La fête qu’il vous fait alors est empreinte de soulagement, pas seulement de plaisir à vous revoir. Les pseudo-bêtises qu’il a fait ne sont rien d’autres que l’expression de son anxiété.
Je déconseille vivement certains outils : le collier anti-aboiement et la cage pour les outils matériels, l’indifférence pour les outils immatériels.
La particularité du collier anti-aboiement est qu’il vibre ou envoie une décharge dès que les cordes du chien vibrent (parce qu’il aboie, parce qu’il pleure, bref, qu’il s’exprime vocalement). Je comprends que la perceptive d’une expulsion est angoissante pour les propriétaires de ces chiens, ou de plaintes des voisins auprès de la police. Cependant, si votre chien aboie ou pleure alors qu’il souffre d’anxiété de solitude, le mot clé est « souffre ». Si vous ne lui mettez le collier que lorsque vous partez, il deviendra un nouvel élément annonciateur de sa solitude. Si vous lui mettez à d’autres moments, vous lui ôtez les capacités de s’exprimer vocalement ; et là j’ai un scoop : un chien aboie, si si, ça fait partie de ses moyens de communication. Si votre chien n’est plus en mesure de s’exprimer vocalement quand il est seul, il exprimera néanmoins sa souffrance, d’une façon ou d’une autre. Vous aurez potentiellement enlevé un symptôme, pas résolu le problème de fond.
Enfermer votre chien dans une cage est une solution parfois mise en place pour éviter les destructions. Mais là encore, cela ne résout pas le problème, et peut risquer d’en créer un autre : que votre chien ne supporte plus sa cage et d’être confiné. Cela peut alors devenir une problématique s’il est hospitalisé ou s’il a à voyager.
Ce que j’appelle l’indifférence est lorsqu’on vous conseille d’ignorer votre chien, qu’il suffit d’attendre, qu’il s’y fera. On ne parle pas d’être exposé un petit peu à quelque chose d’un tout petit peu désagréable, mais de souffrir régulièrement à haute dose d’un mal-être intense. Si vous avez peur de l’eau, vous n’allez pas juste arrêter de paniquer parce que ça fait x temps que je vous ai mis dans le grand bain. Si vous avez peur des araignées, vous n’allez pas arrêter de paniquer juste parce que ça fait x temps que j’en ai posé une sur vous. Potentiellement, vous allez être tétanisés. Mais être tétanisé n’a jamais été et ne sera jamais équivalent à se détendre. À l’intérieur, vous serez toujours en souffrance.
La première chose à faire est de vous ôter de la tête le fait que vous avez la moindre responsabilité dans ce que ressent votre chien. À ce jour, en juin 2025, nous ne savons toujours pas pourquoi certains en souffrent et d’autres non. Votre chien vous suit partout ? Le mien aussi quand j’étais adolescente ; pour autant, Boby ne souffrait pas quand il était seul. Vous câliner votre chien souvent ? Moi aussi ! Il dort avec vous ? Comme plein de chiens, et si tous ceux qui dorment et partagent des moments avec leurs humains en souffraient, cela se saurait. Vous l’avez initié à la solitude ? Malheureusement, ce type d’anxiété peut se déclencher quoi que vous ayez fait ou pas fait. Elle peut être « dormante » et se réveiller un jour, suite à un déménagement, à une séparation, à une maladie, à un changement d’emploi du temps, à l’arrivée d’un nouveau membre dans le foyer.
La deuxième chose à faire est que votre chien ne soit plus exposé à la solitude. C’est très souvent la mission la plus difficile, mais aussi la plus essentielle. Des voisins, des amis, de la famille, des services de garde professionnels, toute aide que vous pourrez trouver vous soulagera et permettra à votre chien de ne plus souffrir lorsque vous n’êtes pas là, car il ne sera alors plus esseulé.
Par ailleurs, cela vous offrira une solution pour profiter aussi de votre vie sans avoir en tête que votre chien est en souffrance. Rares sont les personnes que j’ai rencontrées qui étaient ravies ou indifférentes à l’état émotionnel dans lequel est leur chien dans cette situation.
Adopter un second chien pour tenir compagnie à celui qui souffre d’anxiété de solitude est une fausse bonne idée car vous pourriez en avoir deux qui en souffrent. Vous pourriez n’en avoir qu’un qui en souffre mais ne jamais pouvoir le séparer du second. Vous pourriez avoir deux chiens qui ne supportent pas de cohabiter.
La troisième chose à faire est de mettre en place un travail avec un professionnel qui vous accompagnera. Il va être question d’avoir l’air le plus normal possible, sans être focalisé sur les réactions de votre chien. Avant même de sortir, il va être important que votre chien vous observe avec désintérêt mettre vos chaussures, votre manteau, prendre vos clefs, enfin qu’il se désintéresse de votre routine de départ.
Lorsque je mets ça en place avec mes clients, il s’agit souvent de gestes répétés, que le chien finit par observer à peine du coin de l’oeil alors qu’il était à s’uriner dessus dès qu’il comprenait 30 minutes avant le départ qu’il allait être seul.
Il est important que les exercices soient construits et assemblés de façon à ce que votre chien demeure toujours sous un seuil de panique. Que votre chien vous regarde et n’ait pas eu le temps de s’inquiéter. Il y a quelques années, j’ai été opérée de la myopie. Je m’étais préparée des phrases rassurantes et encourageantes au cas où j’aurais senti un stress négatif monter. Sauf que… je n’ai jamais eu le temps de les débuter car c’était déjà fini. C’était comme me convaincre de prendre une grande inspiration pour sauter dans la grande piscine et me rendre compte que ce n’est qu’une pataugeoire avant même d’avoir fini d’inspirer.
Très souvent, j’ai deux questions qui reviennent : quel délai avant que mon chien soit bien ? Et : est-ce que je pourrai m’absenter plus de 5 heures ?
Pour ces deux questions, je n’ai qu’une réponse : ça dépend du chien. Certains chiens vont progresser rapidement et atteindre le moment de la désensibilisation sur la durée en quelques semaines ; d’autres vont bloquer sur un élément pendant plusieurs semaines. Il arrive aussi que des chiens stagnent ou régressent. Quant à la durée qui sera tolérée, il n’est pas possible de l’anticiper ; chaque chien a son seuil de tolérance.
C’est une des problématiques les plus prenantes et handicapantes pour le quotidien. Autant le chien que l’humain est prisonnier de cette souffrance. Le chien vit dans un état émotionnel tendu, anticipant selon chaque parole ou geste qu’il va être délaissé. L’humain vit en se restreignant et concentrant sa vie autour et pour son chien. Soit il passe la porte avec son chien, soit il ne la passe pas.
Ce dont je suis sûre est que chaque foyer que j’ai accompagné et a bénéficié de progrès a observé plusieurs changements dans sa vie : aller à la boulangerie sans s’inquiéter pour le chien, aller à la boite aux lettres sans craindre qu’il ne panique. J’ai aussi ceux qui sont si conditionnés qu’ils ne savent plus ce qu’ils peuvent faire dehors avec ce temps qu’ils ont pour eux, sans leur chien.
Ce que j’aime le plus est lorsque je vois leur chien leur faire la fête et n’exprimer que du contentement, pas un besoin de réassurance. Ou, quand je vois leur chien à peine levé la tête comme s’il disait « ah, t’es déjà rentré ? Je finis ma sieste d’abord ».